<Territoires d’Outre-Vie
Je n’ai pas vu Hélène danser

Rencontre avec Hélène Blandin

Je n’ai pas vu Hélène danser.
J’ai vu dans son jardin voleter le hamac. J’ai vu les lanières rouges de ses sandales entourer ses pieds comme des bras voudraient plusieurs fois faire le tour d’un dos.
Je n’ai pas vu Hélène enfourcher sa moto. Je l’ai imaginée dépasser le clocher et laisser dans son dos la petite vierge écaillée fraîchement repeinte.

Je n’ai pas vu Hélène danser.
J’ai vu ses mains de shiatsu. La main mère. La main fille. L’une écouter et l’autre faire. Et j’ai vu mes deux mains, moi. J’ai vu mes deux mains amoureusement batailler sur l’arène lisse de l’écran de mon téléphone.

Je n’ai pas vu Hélène danser.
J’ai vu le chat rejoindre Hélène, comme une brise entre - qu’on remarque et rapidement qu’on oublie. J’ai vu le noisetier du jardin voisin enjamber par ses branches les clôtures et les vies. Et son ombre être le fruit noir au sol qu’on partage et savoure sans le croquer.

Je n’ai pas vu Hélène danser.
J’ai vu les yeux verts d’Hélène. J’ai imaginé la couleur de ceux de son père et de sa mère. J’ai vu la
jupe rouge d’Hélène. J’ai vu ses clavicules border son chemisier vert. J’ai imaginé Hélène en blanc. J’ai vu l’ange doucement éternel dans la maison.

Je n’ai pas vu Hélène danser.
J’ai imaginé Hélène murmurer le mot misère. Et crier le mot murmure. J’ai imaginé Hélène revenir de la mangrove amazonienne. Ici. Au hameau. J’ai imaginé Hélène fiévreuse. J’ai imaginé Hélène avoir froid.

Je n’ai pas vu Hélène danser.
J’ai vu le matin. J’ai vu la lumière du jardin d’Hélène pénétrer les coquillages des rivières lointaines, comme un océan une fenêtre.

Milene Tournier
20.08.2024