Ida ou le délire d’Hélène Bessette
Ida ou le délire est un chassé-croisé de voix en variation, dissonance, écho, contrepoint. Une fanfare pour ce qu’on ne comprend pas : la mort de Ida. Anaïs de Courson transforme l’écriture rêche, incroyablement précise, drôle et glaçante d’Hélène Bessette en symphonie pour voix seule. Ça pulse, de la montée du sang au cerveau, des pieds à la tête. La cadence effrénée de la vie.
Hélène Bessette (1918-2000) est l’auteure de 13 romans édités de son vivant et d’un continent d’œuvres inédites, lesquelles à leur tour remontent à la surface.
Qu’est-ce que la société : un système d’ordre et de prospectus. L’écriture de Bessette, c’est qu’une furie brise les vitrines. Une force en furie. C’est à vous de vous cacher, maintenant, crie le livre. C’est à vous d’avoir honte : votre laideur, votre Bêtise, ici, ne font plus peur. Leur ridicule, que vous saviez établir collectivement en convention, est rendu à son ridicule très pur. Très précis. Pas de psychologie dans le roman bessetien, pour excuser, dissimuler, amortir. La Bêtise est à nu. Le maraboutage des charlatans ne prend plus, les superstitions ne sont plus la Loi, car le ténor de leurs voix est estourbi par l’alto de l’écriture. L’écriture en coups de baguette. Une intelligence sabre dans le pia-pia. Stoppe le convenu dans la langue. Fin des conversations, y compris de l’auteur au lecteur (le ton salon de thé, cher à toute une littérature française bien née et toujours agréable). Le lecteur est obligé de se taire. Pas de séduction.
Faire taire le lecteur est un acte de bravoure, qui se paye cher sur le plan des ventes (le flop cher à toute une littérature française mal lunée et toujours désobligeante).
Laver la langue. La battre. L’essorer. Lessiveuse. Pour que la langue revienne drap blanc dans les prairies, à sécher au soleil. Belle opération hygiénique, même si peu consensuelle (l’effort d’avoir à se taire, à un moment où la démocratie invite tout le monde au bavardage).
Dans ce commun appauvri qu’est la langue – une terre épuisée, défoncée par les pesticides textuels – le rêve de bien des littératures est de revenir fumier, de revenir engrais. À la fois absolument singulière et absolument commune.
Charles Robinson
avec Anaïs de Courson
Anaïs de Courson metteure en scène, comédienne, auteure – après des études littéraires et de sciences humaines – hypokhâgne, DESS Science Po – se forme au jeu de l’acteur à l’Ecole du Passage (Arestrup et Del Perugia), joue sous la direction de J. Klesyk et l’accompagne sur l’œuvre du dramaturge H. Barker, travaille avec des metteurs en scène anglais et américains (R. Handlen, M. Collins, C.Godvin) dans le plaisir d’une langue autre, à la recherche de la sienne propre, intègre à New York la cie Apollo IAT où Robert Taylor développe une exploration de l’œuvre de Shakespeare axée sur le rythme, le souffle…, assiste Jean-Yves Ruf sur plusieurs productions. Elle met en scène de nombreux spectacles.
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