La cuisine des
AUTEURS
Jérôme Pouly - Anne Lefèvre

Festival de théâtre de Figeac | 2 août 2021.
APÉRO - RENCONTRE AVEC JÉRÔME POULY | La cuisine des auteurs.
Je vous livre l’impromptu que j’ai partagé en introduction de cette rencontre.

Jérôme Pouly, en découvrant hier soir votre « bazar » , en le laissant me re-traverser ce matin, sur les coups de 6h30, je me dis "C’est qui de l’œuf ou la poule", dans cette création ?

L’origine de cette création, c’est le désir de faire entendre des textes du répertoire à du grand public – l’air de rien – en noyant le poisson dans un packaging rassurant, ici, la cuisine – la cuisine en live, concoctée depuis une petite caravane, tout ce qu’il y a de plus accessible, de plus modeste, le truc populaire, par excellence, qui sent bon les vacances, le truc quasi à la portée de toutes celles et ceux qui passent leur été en camping ?

Bon, bien sûr les « gars » - entendez, ici, l'équipe artistique - sont intelligents.
Il y a l’intelligence polysémique de l’objet « caravane », la polysémie du signe-objet caravane : la caravane des exils, les déplacements forcés, les migrations, le nomadisme, les tziganes, les gitans, les populations menacées, déracinées, les qui perçoivent un salaire mais ne peuvent pas néanmoins accéder à un logement et s’installent à l’année dans des campings… un truc l’air de rien qui entre textes du répertoire et millefeuilles polysémiques pèse son pesant de sens.
Mais tout ça l’air de rien. Emballé c’est pesé. Du théâtre populaire.

Ou bien, l’origine de cette création, c’est votre désir, votre conviction intime de la puissance (salvatrice, réparatrice, jubilatoire) des repas concoctés avec gourmandise, pour les amis aimés et aimants ?

Les ingrédients choisis avec amour, l’œil et le nez en alerte, la main prompte à presser, soupeser, tâter, ici tu épluches les légumes, là au contraire tu en gardes la peau, une partie ou toute, ils sont bios les légumes de Gérard élevés sous la mère (terre) sans adjonction de pesticides ou de « pousse la vie à la va-vite » à outrance.

Un truc pour se redire l’amour.
Quand on est sociétaire de la Comédie française, quand on en déjà beaucoup sous la pédale de mots d’auteur, de textes du répertoire, qu’est-ce qui nous pousse à construire un spectacle de tréteaux ? Scénographié aux petits oignons, bande-son et acteur au top de l’écoute.

La conscience, la conviction profonde que le repas préparé avec soin et joie est réellement le lieu possible de la résilience, de la guérison, de la consolation de nos cœurs endeuillés, affectés, inquiétés ?

Et cela est tellement prégnant en vous que vous intégrez des textes du répertoire pour faire passer la pilule auprès du public et des diffuseurs, vous les entrelacez à vos 1001 frasques d’enfant gourmand et joueur, d’acteur canaille et fou pour « prouver » le sérieux de ce que vous avancez. D’autres, des vieux, en ont parlé avant vous, d’abord. Des qu’on a étudié à l’école : Victor Hugo, Duras, Dumas… alors.

Alors votre truc n’est pas idiot.
Jubilatoire, ludique oui mais pas vain, pas idiot ; c’est un truc des plus sérieux, comme les enfants qui jouent dans la cour de l’école sont sérieux. C’est sérieux un enfant qui joue.

Votre cuisine des auteurs, c’est un truc sacrément sérieux, sacrément construit : le choix de textes, les manières de dires, les chants des chèvres et la rumeur de la ferme au lointain, bonjour la partition de la bande-son et des bouchons qui sautent.
Bonjour l’art de se réconforter les uns les autres autour d’une tartine préparée à 6 mains (au moins) et d’un verre de bon breuvage sorti de derrière les fagots, du fond du placard de notre grand-mère.
Alors quid vraiment de l’œuf ou la poule, Jérôme Pouly ?

Un truc pareil, une interrogation pareille, le coup du repas c’est un truc qui questionne la solitude, non ?
un truc qui la retarde ?

À condition qu’on le soigne le repas, sa préparation, son élaboration - dans le souci d’accueil de nos invités ?
De même qu’on élabore une pièce de théâtre dans le souci de l’adresse à l’autre, non ?

Hier soir, suite à votre cuisine, j’ai choisi d’aller dîner au marché des producteurs qui n’a de tentant que la résonnance fantasmée du mot producteur.
Quelle déception !
Un morceau de viande hachée (plutôt bon mais trop cuit) servi avec une poignée de salades de patates (froide) et de deux ou trois cuillerées de salade (cuite) de celle qui reste de la veille.
Le fromage semblait de belle facture, je n’aime pas le fromage.

Je n’ai perçu rien d’autre dans cette proposition champêtre a priori plus proche, plus alternative, plus saine, plus aimante, plus bienveillante qu’un prétexte commercial décevant, à l’identique de ceux qu’on reproche aux hyper-marchés dont le seul objet est la rentabilité à tout va.

Vos tartines respiraient un autre air, Mr Pouly.

Merci.