Les
In-entendus
Sébastien Bournac - Anne Lefèvre
Festival de théâtre de Figeac | 19 juillet 2021.
APÉRO-RENCONTRE AVEC SÉBASTIEN BOURNAC,
Caroline Chausson et les comédien.nes de l'Atelier Cité du ThéâtredelaCité - CDN Toulouse Occitanie.

Je vous livre l'impromptu que j'ai partagé en introduction de cet apéro-rencontre.

Aujourd’hui, en accueillant Sébastien Bournac et ses équipières et équipiers, je voudrais rendre hommage aux cheffes et chefs de troupe, aux cheffes et chefs de maisons, aux directeurs et directrices de « maisons de théâtre, de maisons d’arts vivants.
En ces temps où il est de bon ton de casser du chef de maison – parfois au sein même des équipes, le chef n'est-il pas, par principe, toujours mauvais – je voudrais remercier les cheffes et chefs de troupe qui animent - à la force de leur âme et de leurs poignets, à la force de leur conviction humaniste les plus éprouvées - des maisons de théâtre et de festivals où il nous fait bon vivre.

Aujourd’hui nous accueillons le chef de troupe et de maison de théâtre Sébastien Bournac.
Sébastien Bournac, c’est
l’amour des textes
l’amour du théâtre
l’amour des artistes
l’amour du public
l’amour de la montagne,
je ne parle pas ici de l’amour de douces « collinettes » accessibles aux moins exercés d’entre nous, non ni de plateaux aimables que je pourrais moi-même atteindre, non non je parle de l’amour de la marche longue solitaire sur des pentes ardues, jusqu’aux sommets les plus âpres depuis lesquels soudain un autre accès au monde nous saisit.

Vertige des lacs gelés et des glaciers inquiets, communion avec des paysages fascinants, comme venus d'un autre monde, vertige des sentes ardues, des passages sur-étroits, des glissades à éviter.

Marcher des heures durant

--- un pas
--- puis un pas
--- puis un pas
Chaque pas tu le décides, tu l'évalues
- poursuivre ou régresser -
tu avances au rythme de celui qui sait
que le chemin est long et rude
et exigeant
et éternellement captivant
tu sais que le chemin est chemin
se lancer
avancer vers
viser loin
là-haut plus près
- plus près des étoiles
accepter l’effort
tu sais que ce sera difficile fatiguant épuisant
tu sais les risques d’orage

tu ne partiras pas sans consulter les oracles des pluies et des vents furieux

tu n’es pas suicidaire
tu aimes
tu es gourmand d’espace puissant, délivré de l’emprise des marchands qui optimisent, rationnalisent, confondent, aseptisent pour mieux nous ponctionner, pour mieux nous gommer, pour mieux nous standardiser, pour mieux nous décérébrer. Tout le contraire de ton œuvre. Tout le contraire de pourquoi tu marches.

le premier pas posé
la décision du premier pas vers le sommet envisagé
avancer au rythme d’un mulet, en corps à corps avec la pierre instable, au milieu des épines, dans l’éblouissement des fougères et des orchidées sauvages,
et des heures plus tard, le mirage d’un lac gelée.

S’y jeter l’embrasser. S’y glacer. S’y réchauffer.
Communier avec l’origine et l’éternité.
Reprendre la marche.
Crapahuter en compagnie des marmottes et des myrtilles, de la fatigue accumulée et de l’appel à se ressourcer,
juste muni de soi.

Sébastien Bournac, c’est un gourmet de haut vol.
Gourmet, définition du Petit Robert : Personne qui apprécie le raffinement en matière de boire et de manger.
Sébastien Bournac est un gourmet exquis.
Un amoureux de chère fine qui s’émerveille d’un émerveillement toujours renouvelé, toujours à neuf devant le sublime le bon et le goûteux, devant l’exceptionnelle saveur d’un alliage encore inconnu savamment réussi, devant un équilibre de saveurs jamais encore éprouvé.
Ah la joie quasi religieuse, sacrée de nos repas une fois l’an chez un chef désiré.

Sébastien Bournac, c’est un homme de théâtre, un metteur en scène, un directeur de troupe, un directeur de compagnie - la Compagnie Tabula Rasa et aussi (et combien) un directeur de théâtre (Théâtre Sorano (Toulouse).
Et toutes ces fonctions - d’aucuns diraient toutes ces casquettes - se tricotent fort naturellement – comme les ingrédients d’un plat réussi.

Sébastien Bournac, c’est l’heureuse inquiétude de convoquer des œuvres qui convoquent le vivant. Des œuvres qui nous augmentent au vivant aussi sûrement qu’un dîner élaboré avec talent et amour.

Sébastien Bournac, c’est la preuve (encore et toujours) que le maître ou la maîtresse de maison font la maison. Donnent le ton. Le la. La note. La direction. Les couleurs. Les saveurs. Les pourquoi. Les pour qui.
On a tous connu des maisons mornes, laissées à l’ennui, à l’abandon, oubliées dans le ronron démissionné de leurs occupants, on les a vues s’éteindre.
Les visiteurs s’y sont fait de plus en plus rares. Point d’accueil qui encourage. Point d’assiettes qui inspirent.
Et au moment même où on s’attendait inévitablement à leur disparition, à leur effondrement, un homme s’est penché sur elle. Y a soufflé son rêve, sa vision, son amour.
Un homme venu d’ailleurs, un entraîné aux sommets et aux pentes ardues. Un émerveillé de beau et de saveurs.
Un qui entreprend la maison à bras le corps, la lave, la sèche, la console, la rafraîchit comme on prend soin avec amour et délicatesse d’un être affaibli par l’épreuve ou l’accident, par l’âge ou la maladie ou d’une chambre d’enfant à naître.
Et quelques milliers d’heures plus tard, entourés d’artisans choisis, quelques sommets plus tard, quelques lacs gelés plus tard, la maison ouvre, remise sur pied - enfin.
Visage décrassé d’une beauté à redonner le souffle.

Merci Sébastien Bournac, poète, agitateur, instigateur d’œuvres qui fortifient.